15 April 2009 0

Métier et passion du théâtre.

Hommage à Denis Julien par Daniel Labonne

Denis Julien arrive à Maurice en 1969. L’information me parvient que cet homme de théâtre venu de France, prépare le Spectacle Maurice- Madagascar, un programme combinant poésie, théâtre et folklore de Maurice et de Madagascar. En tant qu’acteur amateur, je passe l’audition et participe à une production régionale qui reste, à ce jour, unique. Denis Julien impressionne son public d’abord, en sa qualité d’acteur déclamant Jacques Rabemananjara et Marcel Gabon. Le public du Plaza fait bon accueille à ce surprenant montage. Du multiculturel et du transnational avant que les termes ne meublent les conventions.

Puis, l’Alliance Culturelle de l’Ocean Indien est formée. L’on confie à Denis Julien la direction du théâtre de l’ACOI et j’ai le privilège d’être parmi les membres fondateurs. L’action culturelle démarre avec des cours de diction française et de théâtre dan les ville de Curepipe, Rose-Hill et de Port-Louis. La charte de l’ACOI restera lettre morte, sauf pour la section théâtrale qui rapidement aura un impact public considérable, grâce au dynamisme de son directeur. Les cours débouchent sur les récitals poétiques, et bientôt sur des productions scéniques. La première production de l’ACOI est de Pierre de Prins (Les Vautours), une pièce passe en direct à la télévision avec Denis Julien, Margarette Seeboruth et moi-même. Le public découvre certes du théâtre neuf, mais au-delà du jeu, l’esprit qui anime cette petite troupe l’interpelle.

En peu de temps, une solide petite équipe de théâtre est bâtie, à partir meilleurs éléments retenus par les formateurs dans ces divers programmes. Denis Julien sait donner confiance à ces gens de tous ages et toutes origines qui tentent de développer leur élocution, de vaincre leur timidité, de découvrir les beaux textes du répertoire français. C’est un homme exigeant, mais porté par un immense amour du théâtre qu’il estime noble et universel. Et nous sommes quelques-uns a graduellement être hissées par lui pour conquérir les premiers sommets de cet art dramatiques, taillé pour servir les grands auteurs et, depuis la Grèce antique, pour assouvir la soif de civilisation. Maurice est alors un jeune peuple indépendant, un pays pauvre mais plein d’espoir. Denis Julien au mérite de résister a la tentation du préjugé, préférant reconnaître le talent comme étant un apanage humain, digne d’un investissement aux bénéfices durables. Ainsi, il nous appelle affectueusement ‘mes enfants’ et je me souviens de lui, ému jusqu’au bord des larmes lorsqu’un texte est rendu avec justesse.

Nous nous appelons France Supprayen, Mohun Daby, Nicole Cabon, Alexis Espitalier-Noel, Daisy Wong, Indrassen Vencatachellum… Nous montons sur scène avec un enthousiasme contagieux provenant d’un homme qui nous étonne et nous donne beaucoup plus que les dix roupies que nous payons par mois, pour suivre son cours de théâtre hebdomadaire. Parmi les autres interprétés, Racine (Britannicus), Beaumarchais (Le Mariage de Figaro), Jean Annouilh, Victor Hugo, Marivaux, Courteline… Denis Julien avait été formé au Conservatoire de Paris et, me confia-t-il une fois, il avait du en tant que provençal beaucoup travaillé a perfectionner sa diction et son jeu pour aborder les classiques français. Un autre jour détente, il me dit en riant que nous sommes tous des gens du Sud, car le Sud commence avec la Méditerranée…

Par choix ou par curiosité, je préfère alors faire découvrir les auteurs contemporains et les pièces du théâtre moderne. Je les recherche dans la revue Avant-Scène, les mets en répétition avec quelques complices, puis les présentes à Denis Julien. Il reste longtemps silencieux en considérant l’audace de l’entreprise, puis il se range avec ‘ses enfants’. Dans la pièce La Baby Sitter, il va jusqu’à prêter les meubles de son salon pour habiller ma mise en scène. Et la petite famille de l’ACOI affiche hardiment au public son dernier produit théâtral. Cela s’appelait La Baby Sitter ou Le Cosmonaute Agricole de René de Obaldia, Pardon Monsieur de Jeanine Worms, Je M’appelle Rhubarbe de Guy Foissy, Une Jeune Fille A Marier de lonesco. La télévision de Maurice, avec Jean Delaitre a la tête, se met de la partie en invitant Le Théâtre de l’ACOI a présenter régulièrement un programme spécial, Le Cabaret des Poètes. Par ailleurs, les auteurs Mauriciens sont célébrés, dont M. Sangeelee (Le Jardin D’Amour), Marcel Cabon (Malika et Le Mendiant), Raoul Rivet (Textes)… D’autres innovations comprennent du café théâtre au Pavillon, une boite de Quatre Bornes intelligemment gérée, des représentations décentralisées au Racing Club à Ebene, a l’usine de la BAT au faubourg de Port Louis…

J’ai été témoin des malentendus et des moments difficiles de son travail de pionnier. On reprochait a Denis Julien son mépris total du communalisme qui, aujourd’hui, fleurit a Maurice. On le taxait d’idéalisme et son souci d’égalité était, méchamment teinté de suspicion, ce qui lui faisait mal. Hypocritement, les élans nationalistes et socialisantes des années 70s stigmatisaient la langue française et son champion. Jalousie devant son succès ? Son indépendance (il a vécu de ses cours de théâtre jusqu’à ses derniers jours) gênait les institutionnels et les officiels de la culture. Les subventions attendues de venaient jamais car malheureusement, le théâtre nourrit mal ses meilleurs serviteurs… Je dois des excuses a Denis Julien : en 1975, je quittai Le Théâtre de L’ACOI pour me lancer dans une recherche théâtrale. Mais un théâtre identitaire me semblait être un pressant besoin pour un pays qui devait accompagner son programme d’éducation ‘dune formation complémentaire, et d’une vision recentrée qui n’exclut ni ses faiblesses, ni son histoire, ni ses uniques potentialités.
Dans un échange de lettres, j’ai pu dire a Denis Julien ce que je lui dois : l’amour du théâtre, les exigences de qualité, l’unique attraction d’un art rassembleur ouvert sur l’universel. Sur le plan personnel, son humanisme me gratifia d’une attention fraternelle, malgré la différence d’age. Il me répondit de manière caractéristiques avec modestie : ‘Mais fils, tu apportais déjà beaucoup dans tes bagages.’ Le plus grand honneur qu’il me fit date de son séjour à La Réunion, après son départ de Maurice. Il devait présenter au Théâtre de St. Gilles Les Noces de Sang de Lorca. Il me fit parvenir un billet : Daniel, j’ai le trac. Viens me donner un coup de main. Je laissai tout pour partir discrètement, par solidarité pour la petite famille théâtrale de l’Ocean Indien.

Il y a moins de deux ans, à Paris, mon ami Jacques Masson et sa compagne Naja me font le cadeau de retracer Denis Julien, à Metz. Surpris de nous retrouver au bout d’un téléphone après trente ans, nous avons conversé pendant une demi-heure, chaleureusement. Nous étions tous les deux convaincus que la période de création intense et la passion artistique qui nous animaient dans les années 70s a Maurice, avaient fait rire ou pleurer au moins un mauricien, dans la pénombre du théâtre. Avons-nous inspiré l’amitié régionale grandissante de la COI ? Qu’importe, cette larme est d’or et ce rire résonne encore.

Comment puis-je l’oublier ? Mon épouse, Sheila Télot, a été rencontrée sur les planches, au Théâtre de l’ACOI. Maintenant que le rideau est tombé, merci Denis Julien.