Pousse ta pirogue, mon frère
La Villette Accueille La Créolité et Jacques Martial dit Aimée Césaire
J’avais été invité de l’Angleterre par une âme sœur à un récital pas comme les autres : Le Cahier D’un Retour Au Pays Natal du poète martiniquais Aimée Césaire, dit par l’acteur Jacques Martial. Ce n’était pas un banal récital, ni une représentation parmi d’autres. Au printemps 2009, Paris célébrait enfin la Créolité. La capitale française avait choisi La Villette pour une digne célébration. Un riche programme tirait le monde créole de sa torpeur exotique pour le hisser vers un sommet de la re-connaissance. Dans un climat de crise et de fin de civilisation, il semblerait que le monde aux convictions trop sûres ait enfin envie d’inviter le cousin méprisé à la table d’honneur : Kreyol Factory est le titre de cette célébration de la culture créole, jusqu’en Juillet.
Comment manquer un tel événement? Je suis arrivé d’outre-Manche, attentif et plein de gratitude pour ce salut à la Créolité. Dans les années 1930s, le poète Aimée Césaire se frayait un chemin dans le feu brûlant d’une conscience au vif, nègre se cherchant dans le froid au pays du colonisateur, celui-là même à l’origine de tant d’étranges mutations. Un an après la mort physique de Césaire, Jacques Martial, debout de sa haute stature sur une grande scène à La Villette, officie à un rite créole à la fois sobre dans la présentation et lyrique dans le ton. Pour que le verbe du poète perdure dans le temps. Plus qu’un long poème, Le Cahier D’un Retour au Pays Natal marque un éveil identitaire, étape décisive dans le marronnage des peuples créoles.
Le verbe, c’est aussi la langue française, espace de convergence de destins les plus disparates. Sous la plume volcanique d’Aimée Césaire, la langue de Voltaire et de Flaubert se met en éruption. Depuis, elle n’est plus tout à fait la même. En 2009, devant un public nombreux et réceptif, la fusion entre le père forgeur de mots et le fils transmetteur de sens impose silence. Il semble important pour Jacques Martial de rendre cet hommage maîtrisé à celui qui, spirituellement, guide la conscience créole. Césaire a en effet laissé un héritage d’élégance et de fière volonté, là où jadis il n’y avait que honte et désespérance.
Dans mon pays natal (l’Ile Maurice), un de mes amis artistes avait pour nom de famille Martial, détail insignifiant si ce n’est pour rappeler le cousinage global et les errances du créole sur la planète. Je suis reparti de Paris réconforté par la valorisation opportune d’une culture trop longtemps coincée entre malentendu et insularité. Et un vers du poète mauricien Pierre Renaud me revient en tête pour saluer à mon tour l’initiative de La Villette et hurler en direction de Jacques Martial :
Pousse ta pirogue, mon frère
Pousse ta pirogue
Au bout du fleuve, il y a l’océan
Au bout du fleuve, il y a l’aurore
Daniel Labonne
Homme de Théâtre.
1er Mai 2009.