Article publié par Week-end à MAURICE
7 RAISONS POUR VOIR ET REVOIR ‘MA RAVANN’ ?
Par Daniel Labonne
S’il a fallu attendre 32 ans pour des retombées à la proposition formelle faite au public mauricien, la pièce Ma Ravann est peut-être la réponse que j’attendais. C’est un spectacle théâtral d’une rare pureté. Parce qu’il réussit à être à la fois dépouillé et riche. Parce qu’il présente sans fard ce que nous sommes restes a travers le temps, au-delà des maniérismes et en dépit des coutumes divergentes: des corps animes par le souffle vital. Le théâtre a le devoir de nous ramener de temps à autre à l’essentiel. Les dangers de notre époque et la tendance vers l’autodestruction, rendent cent fois plus urgente une telle démarche.
Pourquoi chaque jeune Mauricien aurait du voir la pièce de théâtre Ma Ravann?
1. D’abord, a cause du travail en profondeur de cette troupe (deux ans de travail) qui a trouve une respiration commune dans un langage théâtral différent. Le théâtre n’est pas une formule a la facilite, proche du sketch et de la boutade. D’ailleurs, comme le démontre Ma Ravann, il est possible d’offrir un témoignage et d’exprimer des sentiments sans l’encombrement des mots. D’autant que les medias nous engouffrent sous une avalanche quotidienne de mots. Sans compter la perfidie du commerce qui arrache au langage du peuple ce qu’il a invente de plus percutant pour traîner le consommateur-esclave au supermarché, a coup de slogans publicitaires. Le théâtre a raison de se réfugier parfois dans le non-dit. Histoire d’inviter le spectateur à faire silence en soi.
2. Puis, il y a la question identitaire. Nous sommes d’abord des ilois, donc petits par rapport aux continents. Nous restons ensuite pauvres, par rapport aux pays riches. L’on peut être petit et pauvre tout en étant beau et utile. C’est le défi esthétique à relever. Au lieu de cela, sous la houlette sectaire de la religion et le matraquage intéresse de la politique, l’homme d’ici est encourage a s’identifier a des entités au delà de son environnement naturel et a développer une méfiance a l’égard de son voisin immédiat. Notre utilité, en tant que groupe humain, réside dans notre capacité de réaliser, puis d’exprimer notre différence à partir de notre vécu spécifique. Petit peuple, nous sommes aussi fragiles mais tout aussi utiles qu’un pont. Il faut d’abord affirmer ce que nous avons en commun, en assumant les différences. Dans le même élan, il s’agit de tendre vers une grandissante liberté. Débarrasses des costumes empruntes qui encombrent, la peau nu des corps d’acteurs raconte peut-être mieux une histoire a laquelle nous pouvons nous identifier, dans la pénombre. Même cette sueur abondante ruisselant au dos de l’interprète, rappelle l’effort originel de l’accouchement ou le travail force de notre histoire. C’est la un des mérites de Ma Ravann.
3. Il y a la question du métissage. Dans la région indianoceanique, le métissage est soit culturel, soit le résultat du brassage entre gens d’origines diverses. Nous sommes tous créolises, que nous le voulions ou pas. Le processus est irréversible et il s’en va s’intensifiant, nonobstant les fondamentalismes. Ma Ravann a recrute ses acteurs a Madagascar, au Sri Lanka, a la Réunion, a Maurice. La troupe s’exprime en plusieurs langues, parfois simultanément. Cette démarche dicte au départ un esprit d’ouverture et d’écoute; elle débouche sur une créativité qui ne rejette rien, mais qui pousse à la fusion et au dépassement des limites. L’incapacité pour le spectateur de distinguer l’acteur mauricien du Sri lankais ou du malgache, malgré la proximité acteur-spectateur, démontre bien l’efficacité de cette célébration de l’interculturel, au son de la ravanne.
4. La pièce Ma Ravann rappelle qu’il est possible de partir de l’acteur vivant, pour déboucher sur le théâtre, au lieu de prendre une pièce de théâtre écrite comme point de départ. C’était un des tenants de ma proposition en 1975. Si le Living Theatre, aux États Unis, avait développe ce type de théâtre corporel et directe, c’était par esprit de protestation. Nous, petits peuples, nous avons mieux a faire que de protester: nous devons affirmer notre existence, afin d’être plus utile qu’un marche dans le contexte global. Le théâtre peut aider dans ce processus de développement culturel. Il est question d’exprimer sa spécificité et de signaler préférablement ce qui unit. Cela comporte un aspect esthétique que la troupe affirme par le choix thématique, le jeu des acteurs et l’économie du style de spectacle.
5. La pièce écrite est tributaire d’une tradition littéraire, dramatique et culturelle. Il est parfois difficile, dans le cas des jeunes nations, de parvenir à un langage théâtral cohérent et acceptable, en se limitant à la pièce écrite. En plus des préjuges et des goûts, le texte théâtral subit les exigences de la langue employée et d’autres pressions d’ordre techniques (impression, argent, distribution etc.). Le traitement de la langue créole dans la pièce écrite, pêche souvent par un manque de recherche, une absence de poésie et la tentation de la vulgarité. Le phénomène peut être constate a Maurice: les risques existent que le théâtre s’enfonce dans la médiocrité ou qu’un mauvais texte bloque les efforts collectifs, au lieu de les galvaniser. Traite par des acteurs sans formation, la pièce de théâtre fait plus de dégâts que de bienfaits. Le public qui doit lui-même être éduque, déserte alors le théâtre. Ceux qui se déplacent n’en tirent aucun enseignement.
6. L’acteur vivant est également héritier et transmetteur de la tradition orale, une composante importante du théâtre dans les pays émergeants, en particulier ceux d‘Afrique. Ma Ravann, à ce titre, donne une bonne place à la chanson La Rivier Tanier, exécutée avec émotion et retenu, par un choeur d’hommes. Le théâtre a une tache difficile: démontrer la nature unique de l’humain, dénoncer les travers de la société, ouvrir une fenêtre sur le champ des émotions dans un monde de plus en plus mécanise, apprendre a un peuple a mieux se connaitre pour mieux s’aimer. Or, on ne peut pas s’aimer si les valeurs tributaires du vécu et de l’environnement culturel sont ignorées ou remplacées par des valeurs importées. Le bon théâtre apprend au peuple à écouter battre son propre coeur. A juger par les applaudissements a la fin de la représentation de Ma Ravann, la pièce a su gratifier son public de mille manières. A la fois sur le plan personnel et collectif.
7. Que dire du thème de la Ravanne? Il n’y pas, ici, de symbole culturel plus rassembleur et plus identifiable que la banale peau d’animal, tendue sur le cercle de bois flexible. Tout aussi signifiant, est le rôle d’accompagnateur dans l’exil, qu’a joue la ravanne. Cet instrument a contribue a faire survivre la tradition orale, au service de la mémoire fragmentée. Source de joie relative, la ravanne représente la solidarité et la créativité, malgré l’adversité. Sur le plan social, il répond au préjuge et invite qui veut entendre. Ma Ravann est une pièce racontée a fleur de peau, au centre d’un cercle forme par les spectateurs. Il était temps que la ravanne, traitée avec respect au théâtre, commence à dévoiler d’autres mystères, de notre vécu et de notre inconscient.
Le style proche du rituel, l’importance réduite des rôles, le dépouillement, l’intensité du jeu, l’expression corporelle, le théâtre en rond, le recours au chant et a la danse, au mime et au silence; tout dans cette pièce fait écho a (La) Classe, telle qu’elle fut conçue et présentée en 1975. C‘était dans le cadre de ma recherche rendue nécessaire sur le thème ‘Théâtre et Identité’ au lendemain des indépendances. Cela étant dit, j’avoue que le temps du spectacle Ma Ravann, il m’a manqué parfois une présence féminine dans cette pièce célébrant la ravanne, ronde et tendue tel un ventre de femme a la veille d’enfanter…
Merci au metteur-en-scene Philippe Pelen et a ses co-créateurs.
Daniel Labonne -MPhil
Homme de theatre