TEMOIGNAGE D’UNE FEMME DE COEUR
Pour signaler le film en noir et blanc sur Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir dans une présentation privée de Madeleine Gobeil. Cela se passait le dimanche 13 Février à l’Atelier des Amandiers, au programme de la Compagnie L’Emotionnelle.
Il serait plus juste de qualifier la présentation de Madeleine Gobeil de ‘témoignage’. Le terme ‘conférence’ est trop impersonnel. Or, ce que propose Madeleine Gobeil combine un exposé sur les motivations profondes d’une canadienne pas comme les autres, la valeur historique d’une rencontre unique à Paris et le précieux film lui-même. Ce reportage réalisé par Radio Canada projette dans le 21ème siècle deux figures illustres et inséparables du 20ème : Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir. Le couple de philosophes français est interviewé en 1967 par nulle autre que Madeleine Gobeil, alors jeune journaliste avide de littérature et de rencontres périlleuses.
Car il n’est guère possible d’imaginer un tête-à-tête avec deux piliers de la pensée de son temps, sans un craquement dans sa propre fondation, sans le risque de remettre à jamais en question l’ordre apparent de son propre univers. Par la suite, Madeleine Gobeil a fait carrière à la direction de la culture à l’Unesco. Le quatrième personnage dans le document est le journaliste Claude Lanzmann. Mais il est clair pendant l’introduction de Madeleine Gobeil que ces titans de la pensée que sont Sartre et Beauvoir ont ébranlé non seulement le monde de la littérature, mais que cette entrevue a marqué profondément celle qui a osé les regarder droit dans les yeux.
L’effet du témoignage suivi du film a été marquant pour chacun dans l’auditoire. En tant que metteur en scène, j’avais travaillé sur la pièce de théâtre de Jean-Paul Sartre ‘La P… Respectueuse’. Le film me permet de faire connaissance avec un homme qui pensait par l’écrit et par les mots, dans un engagement avec tout ce qui cohabite le temps et l’espace d’une vie. Penser implique des responsabilités. Je retiens surtout sa définition de l’intellectuel qui, selon Sartre, a le devoir de se préoccuper de ce qui ne le regarde pas. Entendez : la vie des autres comme les guerres d’ailleurs concernent l’écrivain-philosophe autant que le héros de son prochain livre. Ensuite, l’insistance du philosophe à demeurer ‘n’importe qui’ pour se donner le droit de parler au nom des autres. Ce qui explique en ses propres mots son refus du statut d’exception que confère le prix Nobel de littérature.
Très jeune, dans ma lointaine Ile Maurice, j’avais lu ‘Djamila Bouchapa’ de Simone de Beauvoir. Le film me révèle combien j’ignorais presque tout de cette femme pionnière dans une marche déterminée et déterminante pour l’émancipation de la femme. Deux aspects me frappent: d’abord, la nature de cette relation Beauvoir-Sartre, soudée par les heures, les journées et les années de partage silencieux dans la production de l’œuvre. Il faut écrire, puisque tout le reste passe : pouvoir, amour, jeunesse, beauté… Ensuite, s’étant dégagée des contraintes de sa société et de son temps, l’ancienne journaliste canadienne a donné, par métamorphose, un sens personnel à la libération en tant que ‘citoyenne sans frontière’* et porteuse de bonne nouvelle.
Le film n’a pas vieilli et en quelque sorte le témoignage arrive à point. Car l’on ne peut s’empêcher de penser à l’actualité qui donne un sens pertinent et à Sartre et à De Beauvoir, dans cette libération des femmes et des hommes en Tunisie et en Egypte…
En regardant et en écoutant Madeleine Gobeil, le temps semble s’arrêter et il ya comme une autre jeunesse- celle des convictions – qui s’exprime par l’audace, le charme et une passion communicative toute féminine. Merci au trio Gobeil-Sartre-Beauvoir d’avoir, pour mon plaisir, transformé un dimanche ordinaire, plutôt gris dans le ciel et dans le cœur. Un merci tout spécial à Madeleine de nous faire partager l’intimité d’un couple complexe observé dans la simplicité du quotidien.
DANIEL LABONNE
Auteur et Dramaturge (15.2. 2011)
*Selon Stéphane Hessel et le titre de son livre CITOYEN SANS FRONTIERES (Editions Indigènes)